À presque 95 ans, Yvonne conduit toujours la même voiture : une Peugeot 203 de 1954. Quand on lui demande si elle trouverait normal de passer un examen médical pour vérifier ses capacités, elle ne cache pas son inquiétude. Son permis c’est sa liberté : la vie sans lui, elle ne l’imagine pas !
Habitante de Norolles, un petit village du Calvados, entre Lisieux et Pont-l’Évêque, au cœur du pays d’Auge, Yvonne Abgrall, charmante nonagénaire, a toujours bon pied bon œil. « J’utilise ma voiture pour aller faire les courses, toutes les deux ou trois semaines, et aussi pour quelques sorties avec des amis. Ma voiture m’est indispensable, je serai malheureuse sans elle », dit-elle.
Ni accidents ni accrochages
A (presque) chaque sortie, Yvonne Abgrall s’amuse des rencontres sur la route : « À chaque fois que je sors, je suis arrêtée par la gendarmerie. On me demande mes papiers et puis c’est le questionnaire. Ça doit satisfaire la curiosité des gendarmes. Il y en a toujours un pour demander à son collègue s’il a déjà vu ça, en parlant de mon permis de conduire. C’est comique ! La voiture attire autant que mon permis. Tous les papiers sont en règle. Elle passe les contrôles techniques sans souci. »
Si Yvonne Abgrall s’amuse des réactions lorsqu’on la croise au volant, elle s’inquiète lorsqu’on évoque l’idée de rendre un éventuel examen médical obligatoire pour les conducteurs seniors. « Ne m’en parlez pas ! Vous me faites des frayeurs. Mais si c’est décidé en haut, on n’y peut rien. Je conduis moyennement bien, mais je n’ai jamais eu d’accidents ni même d’accrochages depuis que j’ai eu mon permis, en 1952. Et du premier coup ! » ajoute-t-elle fièrement. « Avec mon frère, qui était un peu handicapé, nous tenions la ferme, et il fallait que je puisse aussi me déplacer s’il avait un problème, alors j’ai appris à conduire sur une Peugeot 302. Et croyez-moi, la conduite était totalement différente à l’époque par rapport à aujourd’hui… », ajoute-t-elle.
Yvonne Abgrall sait qu’avec l’âge, ses capacités sont amoindries — audition et vue en baisse, réflexes plus lents — mais dit compenser par plus d’attention. « Je roule prudemment et je suis très attentive à la circulation. Je comprends que certaines personnes âgées puissent être dangereuses, les accidents peuvent aussi être dus à des malaises. Chacun doit savoir s’il est encore apte à conduire ou pas. Moi, je le suis en tout cas ! »
« Dans ma 203, je suis en sécurité »
Craint-elle l’accident ? « Oui, comme tout conducteur sûrement » assure-t-elle. « Mais il ne faut pas faire qu’y penser. Et puis, dans ma 203, je suis en sécurité : là-dedans, ce n’est pas du plastique ! »
Alors, quant à chaque accident grave mettant en cause un senior au volant, la question est à nouveau soulevée d’imposer une visite médicale aux plus de 70 ans pour maintenir effectif leur permis de conduire, Yvonne Abgrall soupire en levant les yeux au ciel. Redoutant qu’un jour on lui annonce qu’elle ne pourrait prendre le volant de sa fidèle 203. Seule dans sa maison, dans un bourg sans commerce, situé à une dizaine de kilomètres de Lisieux, la ville la plus proche, lui retirer son permis de conduire serait comme la priver d’une autonomie et l’enfermer à la maison…