Ecrit par Hugues Chaussin dans Gazoline
Un moteur agricole dans un châssis d’avant-guerre. C’est en appliquant ce principe de base qu’est née la lignée des Triumph Roadster, reprenant une formule à succès dans les années 30 : un plumage ravageur et juste ce qu’il fallait de ramage pour s’accommoder d’un confort rustique. La voiture sportive made in England se voulait radicale par obligation, sans doute aussi par provocation, décapotée parce qu’essentiellement destinée aux riches Californiens et tournée vers le plaisir des sens. La TR3 à la silhouette inimitable a été la dernière Triumph à revendiquer cet esprit pur et dur. Venez en profiter.
Ouvrez grand vos narines. Laissez descendre vos coudes jusqu’à effleurer les échancrures des portières. Appuyez à fond sur la pédale des gaz. A vous la liberté et les sensations pures d’un vrai roadster. Rouler en TR3 c’est, au sens littéral du terme, circuler différent. Légère et spontanée, elle vous impose d’aimer le sport. Au début, vous devez supporter quelques courbatures, puis l’exercice devient bonheur avant de vous astreindre, telle une drogue, à un usage régulier. Pour en avoir essayé à plusieurs reprises, je puis vous assurer qu’elle est addictive. A gauche ou à droite, le plaisir est intense. L’impression de liberté immense.
Au volant, je n’ai pu m’empêcher de penser aux esprits bien inspirés mais mal renseignés qui ont ressorti d’un chapeau l’appellation “roadster”, il y a une vingtaine d’années, pour qualifier des cabriolets de luxe au confort impeccable, à bord desquels le seul frisson se limite soit à la poussée du moteur, soit à la qualité auditive de la hi-fi. Diantre ! Pourquoi n’avoir pas inventé un mot nouveau pour baptiser ces voitures au demeurant respectables ? Vous me direz, Triumph n’a pas été en reste puisque, dès la TR4, la marque s’est coupée de son fil conducteur. Une grossière erreur car à peine proposée à la vente, cette génération a été boudée par sa principale clientèle, les Américains, ce qui vaudra à la TR3 une deuxième vie (TR3B) et une belle revanche.
La recette prend toute sa saveur à partir de la TR2 et gagne sa première étoile avec la TR3
C’est juste après-guerre qu’a été échafaudée celle qui sera le point de départ d’une mythique lignée. La Triumph Sports Car présentée au Salon de Londres 1952 est alors un roadster au physique, disons-le, ingrat, surtout comparé à celui majestueux de la toute nouvelle Healey 100 Sport que la presse britannique venait d’accueillir avec enthousiasme. Comment ce châssis de Standard Flying 9 d’avant-guerre avec pont AR et suspension AV de Triumph Mayflower, doté d’une carrosserie dessinée à la va-vite par Walter Belgrove, pourrait-il se tailler une place au soleil de Californie entre l’irrésistible MG TC et la sublime Jaguar XK 120 ? Le constat est clair : il ne pourra pas, malgré quelques commandes de passionnés.
Le deuxième essai est bien meilleur. Il s’agit de la TR2 dévoilée au Salon de Genève de mars 1953. Elle reprend pourtant l’ensemble du package technique de la première mouture, jusqu’à son moteur fonte Standard tout de même sérieusement vitaminé pour l’occasion, mais le châssis est bien plus rigide, les freins sont renforcés et la ligne a fait l’objet de profondes retouches, notamment en ce qui concerne la poupe, désormais équipée d’un coffre, la roue de secours étant logée sous celui-ci, accessible par une trappe. La recette a du goût, du peps et, pour tout dire, elle est appétissante dès le premier regard. L’Amérique succombe à son charme, plus du tiers de la production y étant exporté. Le reste du monde aussi.
En 1955, la TR3 lui succède en conservant la même ligne, si l’on excepte la grille de calandre. Avec cinq chevaux supplémentaires (95 ch SAE), elle se révèle un poil plus brillante alors qu’elle offre, à l’inverse de sa devancière, une option banquette AR à réserver aux lilliputiens. En 1956, une amélioration du remplissage moteur fait encore gagner cinq canassons (mais ce sont de véritables étalons), ce qui porte la puissance du 1.991 cm3 à 100 ch tout rond. Dans le même temps, les freins à tambours AV se retirent au profit d’une paire de disques. L’année suivante, la TR3 devient “A” en adoptant une calandre sensiblement élargie englobant les clignoteurs. La principale évolution mécanique intervient en 1958, lorsqu’un moteur de 2.138 cm3 est proposé en option. Celui de la future TR4, puis de la TR3B. Le modèle qui nous occupe date de cette même année, et il se contente du 2 litres d’origine. Dans les faits, nous verrons que cette mécanique s’avère être largement suffisante. Son propriétaire, André Rous, qui ne goûte guère la conduite d’engins poussifs, est d’ailleurs le premier à se satisfaire des performances de sa Triumph.
Oubliez toute notion de confort, c’est une auto 200 % pur sport
Pour ma part, j’avais un souvenir de TR3. C’était il y a presque 25 ans. Hubert, mon prof d’histoire de seconde, remontait le temps et venait au bahut au volant d’un bolide de la même veine, vert anglais. Me sachant captivé par la chose automobile, il m’invita un jour à prendre place à ses côtés pour une petite balade. Quand André m’a ouvert le portillon de sa “bleue”, je confesse avoir retrouvé les mêmes sensations. Assis au ras du sol derrière un petit pare-brise encadré de chrome et une planche de bord “aéronautique”, l’ambiance sportive est assurée. A la mise en route, le 4 cylindres émet un râle sourd qui renseigne sur sa copieuse cylindrée. Pas de doute, la TR en a sous le capot. Cette prise de contact prometteuse éveille tout autant nos désirs de promenade que des instincts plus sauvages. Je crois que cette auto, c’est vraiment du 100 % pur sport. Au bout de cinq kilomètres, je rectifie déjà mon appréciation. Considérant la rudesse des suspensions et l’inconfort notoire, je double la note ! C’était certainement aussi cela, une voiture de sport, dans les fifties.
Le fil de notre itinéraire, sur un plateau de l’ancienne province de Guyenne, nous gratifie de routes secondaires sinueuses et accidentées. Les montées ne font pas peur au roadster dont le moteur est d’une rondeur sans égale. Si le premier rapport n’est pas synchronisé, ça n’est finalement pas gênant, car on ne le repasse plus une fois lancé. On peut même démarrer en deuxième au besoin. Les côtes sont avalées avec une aisance déconcertante, sur un filet de gaz ou pied dedans si l’on a choisi de laisser le cerveau dans la boîte à gants. Le sommet atteint, il faut redescendre. L’occasion idéale de mettre les freins à l’épreuve. La TR3 est la première voiture anglaise de grande série équipée de freins AV à disques. L’efficacité du tandem disques/tambours est plus que correcte, même s’il faut garder à l’esprit que le véhicule ralentit comme un modèle des années 50. En prenant garde de ne pas faire exagérément chauffer le dispositif, l’endurance est même acceptable. Toutefois, si nous devions tout mettre dans la balance, il apparaîtrait que cette auto dispose davantage de moteur que de freins, ce qui, vous vous en doutez, renforce le côté sportif de sa conduite !…
SUITE ET FIN DE CET ARTICLE DANS GAZOLINE 213 – JUILLET 2014